La crise alimentaire à Gaza s’aggrave : sur le terrain, les complexités abondent

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Désespoir, attaques et pillages mènent à une “situation très difficile”, estime l’organisation Samaritan’s Purse.

Hanna Massad reste en contact étroit avec ses anciens voisins et membres d’église toujours présents à Gaza. Un ami de l’église baptiste de Gaza lui a confié que « toutes les personnes dans les églises se sentent étourdies et commencent à souffrir de problèmes de santé » en raison de la grave pénurie alimentaire. Un ami musulman lui a dit qu’il était très difficile de trouver de quoi nourrir sa famille.

Pour venir en aide aux siens, l’organisation à but non lucratif de Massad, Christian Mission to Gaza (CMG), distribue chaque mois entre 2 000 et 3 000 repas chauds aux habitants. Placée sous l’égide de l’église baptiste de Gaza, que Massad conduisait avant de s’installer aux États-Unis en 2008, la CMG collabore avec plusieurs cuisines locales, où les repas sont préparés et emballés individuellement.

Cela permet ensuite au personnel de la CMG de livrer en sécurité les repas dans les camps de tentes de Gaza, où vivent de nombreuses familles déplacées. Grâce aux dons venus de l’étranger, l’équipe fait ses courses sur place en cherchant les prix les plus bas, une tâche de plus en plus ardue.

Autrefois, les repas comprenaient du poulet. Aujourd’hui, la viande est rare et son prix a explosé, explique Massad. Les repas se composent donc généralement de riz, avec parfois un légume comme l’aubergine. Chaque repas coûte actuellement entre 7 et 10 dollars.

Depuis le début de la guerre, l’association a distribué plus de 47 000 repas chauds aux chrétiens et à la communauté musulmane autour d’eux, ainsi que de l’eau potable. Massad espère que ce ministère envoie « un message clair d’amour et d’attention en ce temps de profonde souffrance ».

Une crise alimentaire alarmante

La crise alimentaire à Gaza a atteint des niveaux alarmants. Selon les rapports de l’IPC (Integrated Food Security Phase Classification), le pire scénario de famine est en train de se concrétiser. L’écrivain israélien conservateur Haviv Rettig Gur a affirmé que, contrairement à de précédentes fausses alertes, cette fois, la crise est réelle et représente une « erreur dramatique et stratégique de la part d’Israël ».

L’Organisation mondiale de la santé (OMS) a rapporté que 63 personnes, dont 24 enfants de moins de cinq ans, sont mortes le mois dernier de complications liées à la malnutrition. Pendant ce temps, le Premier ministre israélien Benyamin Netanyahou affirme qu’il n’y a pas de famine à Gaza.

Depuis la levée du blocus de trois mois en mai, l’organisation Gaza Humanitarian Foundation (GHF), soutenue par les États-Unis et Israël, a pris en charge une grande partie de la distribution alimentaire, afin d’éviter que l’aide ne soit détournée par le Hamas. L’ONU critique toutefois la GHF, estimant qu’elle met les Palestiniens en danger, car ceux-ci doivent traverser les lignes militaires israéliennes pour rejoindre ses quatre sites de distribution, et qu’elle ne fournit pas une aide suffisante.

Réactions internationales et tensions politiques

La communauté internationale a intensifié ses réactions : la France, le Royaume-Uni, le Canada et l’Australie ont annoncé leur intention de reconnaître officiellement un État de Palestine. Aux États-Unis, certains républicains historiquement pro-israéliens critiquent désormais la stratégie de guerre israélienne. La députée Marjorie Taylor Greene a qualifié la crise alimentaire de Gaza d’acte de « génocide ». Le président Donald Trump a reconnu qu’il y avait « une véritable famine » à Gaza et qu’« Israël porte une grande responsabilité » dans l’insuffisance de l’aide alimentaire.

Joshua Youssef, président de Help the Persecuted, appelle les chrétiens à aborder cette souffrance avec nuance. Il rappelle qu’il est très difficile d’obtenir des informations vérifiées, Israël interdisant aux journalistes étrangers un accès indépendant depuis 2023, et le Hamas restreignant fortement la liberté de la presse depuis sa prise de pouvoir en 2007.

"Cela ressemble à une combinaison de chaos, la guerre est un enfer, et les deux parties essaient de contrôler le récit, avec une partie qui essaie vraiment de contrôler le récit", affirme Youssef en se référant au Hamas et à l'Autorité palestinienne. Help the Persecuted soutient les chrétiens au Moyen-Orient, en Afrique du Nord et en Asie centrale.

S’il reconnaît la possibilité de négligences et de problèmes de mise en œuvre de l’aide, Youssef ne pense pas qu’Israël affame volontairement les Palestiniens : le niveau de surveillance interne et internationale ne le permettrait pas. Israël et la GHF tentent de faire entrer de l’aide, mais se heurtent à ses yeux à une réalité extrêmement complexe et à des oppositions locales qui ne souhaiteraient pas voir émerger de campagnes humanitaires réussies.

Si les médias attaquent largement la GHF, Youssef estime qu'ils ne tiennent pas compte des manquements des Nations unies à l'égard des Palestiniens. Son organisation, qui comprend un réseau de 20 maisons-refuges, a été confrontée à de nombreux cas de partialité de l'ONU à l'encontre des chrétiens convertis à l'islam qui cherchent à obtenir le statut de réfugié et d'autres types d'aide.

"Dans certains cas, l'ONU engage des locaux et parfois des musulmans très religieux et conservateurs pour gérer les opérations quotidiennes, ce qui n'a pas été une évolution positive pour certaines minorités, y compris les chrétiens", dit Youssef.

Des centaines de camions bloqués, des convois pillés

Ken Isaacs, vice-président des programmes et des relations gouvernementales de Samaritan's Purse, a déclaré que, lors d'un voyage à Gaza à la mi-juillet, il a assisté à une réunion au cours de laquelle il a appris que les Nations unies avaient garé plus de 900 camions, dont beaucoup contenaient de la nourriture en décomposition, juste à l'intérieur de la bande de Gaza. Quelques jours plus tard, il s'est rendu sur place et a décrit une scène où des centaines de camions remplissaient "des hectares et des hectares de parkings" près de la frontière.

L'organisme gouvernemental israélien chargé de coordonner l'aide humanitaire a mis en ligne des images de drone montrant les camions stationnés. Isaacs pense que cette publicité négative a poussé les agences de l'ONU à commencer à déplacer leurs camions d'aide vers leurs destinations.

L'ONU a ensuite rencontré des problèmes. Selon Ahmed Fouad Alkhatib, directeur de Realign For Palestine, une combinaison de "civils désespérés, de gangs sans foi ni loi, de voyous affiliés à des clans et de marchands de mort" a pillé les camions.

Les Nations unies ont reconnu que 88 % de leurs camions n'ont pas atteint la destination prévue à l'intérieur de Gaza depuis que les livraisons ont repris en mai après un blocus israélien de deux mois, ce qui met à mal des affirmations antérieures selon lesquelles "la grande majorité de l'aide que nous recevons parvient aux civils".

Lors de son séjour à Gaza, Isaacs s'est entretenu avec des Palestiniens qui ont déclaré que le Hamas avait menacé de les tuer, ainsi que les membres de leur famille en Cisjordanie, s'ils travaillaient pour la GHF. Les attaques contre le personnel de la GHF au cours des derniers mois ont tué huit Palestiniens et blessé deux Américains. "Je crois qu'il y a une forte résistance à l'idée d'une entité capable de fournir une aide humanitaire, autre que l'entité préexistante", analyse-t-il.

Isaacs, qui travaille dans le domaine de l'aide humanitaire depuis plus de 35 ans, a déclaré qu'il n'avait pas vu de famine, mais qu'il avait été témoin d'un "amaigrissement qu'il n'avait pas vu depuis la Bosnie", les vêtements de certaines personnes pendant de leurs membres. D'autres personnes semblaient en bonne santé.

Bien qu'il se soit rendu à Gaza avec un préjugé défavorable à l'égard de la GHF parce que celle-ci est "sortie de nulle part", il a finalement été impressionné par le professionnalisme des équipes qu’il a pu observer.

Lors de la distribution de nourriture, il a vu des personnes désespérées courir vers les sites d'aide, mais il a affirmé que le processus était méthodique malgré l'environnement compétitif. Les jeunes et les costauds sont arrivés les premiers, courant avec de grands sacs et rassemblant divers produits alimentaires, comme des pommes de terre, du sel et de l'huile. La vague suivante a amené des Palestiniens moyens, dont beaucoup étaient plus lents et semblaient reconnaissants de recevoir de l'aide. La dernière vague de personnes a rassemblé les boîtes et les caisses restantes pour les utiliser comme combustible.

La GHF affirme avoir distribué plus de 115 millions de repas. L’armée israélienne reconnaît avoir tiré des coups de semonce dans la foule lors de distributions, provoquant des morts, mais conteste le chiffre de plus de 1 000 victimes avancé par l’ONU.

Nourrir malgré la guerre

Massad entend régulièrement parler de Palestiniens tués en allant chercher de la nourriture. Un voisin a perdu un parent, père de six enfants, tué par un missile. Un jeune chrétien récemment converti qu’il formait a survécu à une distribution, mais son cousin est mort d’une balle dans le cou.

« À Gaza aujourd’hui, même la décision la plus basique — chercher à manger, vérifier sa maison — peut être fatale », dit Massad.

Pour Samaritan’s Purse, il n’existe pas de bonne manière d’acheminer l’aide dans une zone de guerre comme Gaza. L’organisation collabore désormais avec plusieurs acteurs, dont la GHF. Le 26 juillet, Samaritan's Purse a envoyé en Israël ses Douglas DC-8 et Boeing 757 remplis de près de 50 tonnes de nourriture, notamment des sachets de beurre de cacahuète enrichi. Un troisième avion a atterri ce mois-ci et les livraisons à Gaza ont commencé le 6 août.

Isaacs résume : « C’est une situation très difficile. La seule solution, c’est de faire entrer suffisamment de nourriture pour que la nourriture perde toute valeur marchande. »

La GHF veut passer de 4 à 16 sites de distribution tournants au fil de la journée afin de réduire l’affluence. Israël a commencé à autoriser certaines importations, à suspendre les combats par endroits et à larguer de l’aide par avion. Mais le besoin reste immense, et l’annonce d’une offensive sur Gaza City risque d’aggraver encore la situation.

Pour Massad, distribuer de la nourriture est une façon pour l’Église de témoigner à ses voisins, même si les chrétiens de Gaza doivent rester très prudents à propos de leur foi. De nombreux Palestiniens associent le christianisme à l'Occident.

"Si nous jouissons d'une certaine liberté à l'intérieur de l'église, à l'extérieur de ces murs, les chrétiens doivent faire très attention à ce qu'ils disent, à la manière dont ils le disent et au moment où ils le disent", explique Massad, qui continue à coanimer des cultes en ligne pour le petit nombre de membres de l'église qui sont restés à Gaza.

« À travers ce ministère”, dit-il, “nous montrons que les chrétiens se soucient profondément des autres, qu’ils sont présents parmi la population, et qu’ils reflètent l’amour du Christ de manière concrète et compatissante. »

Jill Nelson

Un article de Christianity Today. Traduit et adapté avec autorisation. Retrouvez tous les articles en français de Christianity Today.

Image : Anas-Mohammed / Shutterstock.com

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